Quand on aime Sherlock Holmes et le cinéma, on aime bien sûr débattre des nombreuses adaptations du Chien des Baskerville.
Parmi celles-ci, on trouve des « classiques » comme le film de 1959 avec Peter Cushing, ou encore celui de 1939 avec Basil Rathbone, qui rassemblent pourtant presque autant d’adeptes que de détracteurs. Certains vanteront à juste titre les mérites de l’adaptation soviétique de 1981 avec Vassili Livanov, sans oublier les très bonnes adaptations de l’ère du cinéma muet. Et il suffit de mettre les pieds au Galway Irish Pub une fois par mois à Paris pour débattre dans la joie et la bonne humeur des adaptations les moins connues (et les plus mauvaises) du roman, comme celle de 1968 avec Nando Gazzolo ou la parodie de 1978 avec Peter Cook.
Mais voilà : que ce soit au Galway ou dans les ouvrages spécialisés sur le cinéma holmésien, un film n’est jamais cité, alors qu’il pourrait clairement être classé parmi les adaptations (disons plutôt les « inspirations ») du Chien des Baskerville. Il s’agit de « A Cottage on Dartmoor » de 1929.
L’histoire d’un évadé de la prison du Dartmoor
Vous n’avez probablement jamais entendu parler de ce film et c’est normal : tout le monde l’a oublié. Pourtant, son titre a de quoi intriguer n’importe quel holmésien. Mais arrêtons tout de suite les faux espoirs : non, Sherlock Holmes n’est pas présent dans A Cottage on Dartmoor. Rien d’étonnant à cela d’ailleurs, sinon ce film n’aurait pas été autant oublié. Il n’y a pas non plus de chien et encore moins de Baskerville. Alors quel est le rapport avec le Chien des Baskerville ?
La réponse est simple : ce film raconte l’histoire d’un évadé de la prison du Dartmoor. Ici, le personnage principal ne s’appelle pas Selden (comme dans le roman), mais « Joe ». Or, la comparaison entre les deux personnages et les aventures qu’ils traversent montre à quel point les liens entre les deux œuvres sont étroits.
Une introduction parfaitement holmésienne
Lorsque l’on commence à regarder ce film, on croit bel et bien avoir affaire pendant quelques minutes à une adaptation du roman de Conan Doyle, dont on aurait simplement modifié la chronologie des événements.
Faites le test vous-même en prenant le temps de regarder les deux premières minutes du film, disponible sur Youtube à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=BQSkUyvXaWw
Résumons : l’intrigue s’ouvre sur une évasion de la prison du Dartmoor, puis le fuyard court à travers une lande au relief chaotique, grimpant sur des tertres tout en évitant d’inquiétantes zones marécageuses. Dans cet extrait, chaque scène semble être une allusion directe au Chien des Baskerville : l’évasion de Selden, l’éphémère silhouette d’un homme au sommet d’un tertre (Holmes aperçu par Watson dans le roman), et rien de moins que le dangereux bourbier de Grimpen.
Une maison isolée sur la lande
Cette course effrénée mène l’évadé jusqu’à une maison isolée dans laquelle il entre et retrouve une femme qu’il connaît. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec le manoir des Baskerville, au point que l’on s’attend à ce que la femme en question soit Mrs Barrymore. Mais non, il s’agit en l’occurrence de « Sally », une jeune femme que Joe avait maladroitement tenté de séduire quelques années plus tôt, sans y parvenir. Un long flashback nous raconte l’histoire de cette relation manquée et tragique, terminée par une tentative de meurtre de Joe sur son rival, devenu entre-temps le mari de Sally. C’est d’ailleurs cette tentative de meurtre qui a valu à Joe d’être incarcéré. On s’éloigne ici totalement du Chien des Baskerville, mais patience, on y revient.
Un couple venant en aide à l’évadé
Après la parenthèse narrative du flashback, retour au temps présent : Sally décide de cacher Joe à l’étage de la maison pour qu’il ne soit pas retrouvé par la police. Avec l’aide de son mari (qui accepte de ne pas dénoncer son ancien agresseur), Sally donne à Joe quelques vêtements pour qu’il puisse ressortir de la maison incognito et s’enfuir pour démarrer une nouvelle vie.
Ici, les holmésiens auront reconnu une évidente allusion au Chien des Baskerville, puisque dans le roman, Mr et Mrs Barrymore donnent à Selden de vieux habits d’Henry Baskerville pour qu’il puisse subsister sur la lande.
Un seul destin, une même issue
Joe ne va toutefois pas bien loin : à peine arrivé dans une ferme des environs, il découvre une photo de Sally dans une poche des vêtements qui lui ont été donnés. Eperdu d’amour et bouleversé à l’idée de ne plus revoir celle qu’il aime en vivant éternellement dans la clandestinité, il repart en courant vers le cottage pour retrouver Sally. Un policier l’aperçoit sur la lande et lui ordonne de s’arrêter, mais il poursuit sa course folle jusqu’au drame. Joe reçoit un coup de fusil dans le dos au moment-même où il arrive au seuil de la maison. Titubant dans les bras de sa bien-aimée, il trouve la force de lui adresser ses dernières paroles : « You see… I couldn’t live without you ». Cette cavale, tout comme celle de Selden, se termine donc sur une note tragique.
Bref, un film à voir !
Au-delà de cette liste de points communs entre les péripéties de Joe et de Selden, on retrouve plus généralement dans ce film une ambiance qui, à elle seule, rappelle de manière évidente celle du Chien des Baskerville. La lande sombre, la maison isolée, les policiers qui traquent l’évadé sur la lande, le couple qui lui vient en aide, le fil rouge des sentiments (Beryl et Sir Henry dans le roman) : tout est là pour nous rappeler un cadre que nous connaissons bien. L’histoire peut finalement être interprétée comme une déclinaison originale et inventive du roman en se concentrant sur l’une de ses sous-intrigues : la vie de Selden, que Conan Doyle n’avait pas pris le temps de détailler.
On notera enfin que le parallèle entre les deux œuvres, qui nous frappe encore de nos jours, était forcément perçu de la même manière en 1929 à la sortie du film. Aucun doute que ces liens sont donc volontaires : A Cottage on Dartmoor est un clin d’œil parfaitement maîtrisé à l’œuvre de Conan Doyle, et ceci pour le plus grand bonheur des holmésiens qui auront la joie de découvrir ce film oublié et d’en débattre.
Xavier BARGUE